Nadeau, L., Acier, D., Kern, L., & Nadeau, C.-L. La cyberdépendance : état des connaissances, manifestations et pistes d’intervention. Montréal, Québec : Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances, 2011, 88p

cyberdependancequebecNadeau, L., Acier, D., Kern, L., & Nadeau, C.-L. La cyberdépendance : état des connaissances, manifestations et pistes d’intervention. Montréal, Québec : Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances, 2011, 88p

Cette monographie, rédigée sous la direction de Louise Nadeau du département de psychologie de l’Université de Montréal, fait une recension de l’essentiel des recherches menées à ce jour sur une problématique en émergence, peu documentée : la cyberdépendance, apparue en 1995 et définie comme l’utilisation potentiellement délétère d’internet. Selon ses auteurs, l’objectif de l’ouvrage est « d’outiller les intervenants qui rencontrent des personnes présentant des signes de dépendance à Internet».

 « Il existe au moins 11 vocables différents pour décrire l’utilisation potentiellement délétère d’Internet : la cyberdépendance, la dépendance à Internet, troubles liés à l’addiction à Internet, utilisation pathologique d’Internet, utilisation problématique d’Internet, utilisation excessive d’internet, utilisation compulsive d’internet, addiction au cyberespace, addiction en ligne, addiction au net, grande dépendance à Internet. Au Québec, les chercheurs semblent porter leur choix sur le vocable de cyberdépendance ».

Selon Louati, Lederrey, Scariati et Theintz (2007), il existe 5 différents types de dépendance : la cyberdépendance à caractère relationnel, à caractère monétaire, aux jeux, à caractère informationnel et à caractère sexuel.

Trois dates sont à retenir pour situer la cyberdépendance dans un espace spatio-temporel défini. Même si le concept à l’origine d’internet remonte aux années 1950, c’est en 1969 qu’apparaissent ses premières applications aux États-Unis. Au début des années 1980, on assiste à la création du « réseau des réseaux » : Internet. Enfin, l’arrivée du « World Wide Web », au début des années 1990, est caractéristique de la prolifération d’applications (courriel électronique, messagerie instantanée, Facebook, Twitter, Skype, etc.). Dès lors, Internet connaît une explosion au point qu’on promeut le concept de « troisième révolution industrielle ».

En 2011, selon le Miniwatts Marketing Group, le Canada comptait déjà 27 millions d’internautes, soit un taux de pénétration de 79,2%. Au Québec, en 2010 on estimait que 75,4% des adultes québécois étaient des utilisateurs réguliers d’Internet et à cela s’ajoutent 7% d’utilisateurs occasionnels. Internet n’est pas, non plus, l’apanage exclusif des jeunes puisque les données indiquent que 68% des personnes des 55-64 ans, 40% des plus de 65 ans sont aussi des utilisateurs réguliers.

« Le plaisir peut devenir un problème »

Le premier obstacle auquel on est confronté, que l’on soit médecin, intervenant ou chercheur, est que ce trouble n’a pas d’existence nosologique puisqu’aucune des deux classifications mondiales des troubles mentaux, soit celle de l’Association américaine de psychiatrie (DSM) et celle de l’organisation mondiale de la Santé (CIM) ne le définit à l’heure actuelle. Par conséquent, la Cyberdépendance ne constitue pas un diagnostic reconnu dans la nosologie psychiatrique et un médecin ne peut facturer pour le traitement de la cyberdépendance.

En l’absence de conditions reconnues pour établir un diagnostic, certains auteurs ont proposé de reprendre la liste des 7 symptômes inspirée par les critères du jeu pathologique du DSM-IV, eux-mêmes inspirés de ceux de la dépendance aux substances pour permettre aux intervenants d’établir le seuil clinique (gravité et durée). Comme la consommation de substances et les jeux de hasard et d’argent, Internet est un moyen sinon une habitude qui constitue un apport à la qualité de vie des utilisateurs. Néanmoins, l’histoire des dépendances révèle que toute situation qui apporte autant de renforçateurs à la vie d’un individu comporte également un risque immodéré (accessibilité, anonymat, le faible coût). Et c’est en cela qu’Internet rejoint l’alcool, le cannabis, le tabac, l’alimentation, les jeux de hasard, etc.. Quelques applications peuvent poser des problèmes significatifs : les jeux vidéo d’action et d’aventure et les relations virtuelles, via le clavardage/chat ou les sites de rencontres.

Les signes cliniques communs à la cyberdépendance et aux autres dépendances :

-Qualité, fréquence et intensité de son utilisation d’Internet ;

-Le désir persistant ou les efforts répétés mais infructueux pour contrôler, réduire ou arrêter l’utilisation ;

– L’agitation ou l’irritabilité lors des tentatives de réduction ou d’arrêt ;

-L’utilisation se prolonge plus longtemps que prévu la mise en danger ou la perte affective importante, des activités professionnelles, sociales, occupationnelle ou de loisirs en raison de l’utilisation d’Internet ;

-La poursuite de l’utilisation malgré la connaissance de l’existence d’un problème déterminé ou exacerbé par l’utilisation ;

-Les mensonges à la famille, au thérapeute ou à d’autres pour dissimuler l’ampleur réelle de ses habitudes d’utilisation ;

– L’utilisation vise à échapper aux difficultés ou à soulager une humeur dysphorique »

« Internet est devenu une sorte de nourriture essentielle à la survie psychosociale »

Cependant quelques aspects sont spécifiques à la cyberdépendance notamment pour les adolescents et les jeux vidéo. À ce niveau, le clinicien doit exercer son jugement clinique pour déterminer s’il est en présence d’une dépendance pathologique. Pour ce faire, la durée d’utilisation doit être prise en compte (nombre d’heures passées en ligne), l’impact sur les relations interpersonnelles, la valorisation grâce à un personnage virtuel et le rapport à la réalité.

Deux perspectives se dégagent au niveau clinique. La première examine les signes cliniques et les conséquences néfastes qui en résultent en association avec l’utilisation d’Internet (perte de contrôle et problèmes psychosociaux associés au fait de ne pouvoir se passer d’internet). La deuxième s’intéresse à l’expérience subjective de la personne. Compte tenu de ces paramètres, l’intervention sur la Cyberdépendance ne doit pas faire fi du phénomène de la comorbidité. L’intervenant devrait garder en mémoire que la concomitance de troubles mentaux et d’une dépendance n’est pas la juxtaposition de plusieurs pathologies mentales, mais bien une intégration de plusieurs troubles dans un seul tableau clinique. Les auteurs insistent sur deux types de comorbidité : l’association avec les troubles liés aux substances, d’une part et les troubles anxieux et de l’humeur, d’autre part.

La comorbidité est la présence, chez une même personne ou chez un groupe de personnes, d’une combinaison de problèmes mentaux ou psychiatriques. Exemple : la moitié des joueurs pathologiques ont également une dépendance à l’alcool.

En définitive, au plan des stratégies cliniques, l’abstinence ou la non-utilisation complète, qui ont fait leur preuve avec le tabac ou l’alcool, ne semblent pas, selon les auteurs, un objectif réaliste pour les personnes dépendantes d’Internet dans la mesure où Internet est un moyen de communication facile et accessible, omniprésent sinon indispensable. Tant s’en faut, l’abstinence pourrait être à l’origine d’effets pervers (marginalisation ou exclusion). En revanche, tout comme pour l’obésité où les personnes en surplus de poids doivent trouver une nouvelle manière de manger, le travail de l’intervenant devra consister à aider son client à trouver une nouvelle manière d’utiliser Internet.

Quelques pratiques sont reconnues efficaces dans le traitement des dépendances et l’Intervenant devra privilégier celle avec laquelle il est plus à l’aise. Parmi ces pratiques, les auteurs mentionnent les approches motivationnelle, cognitivo-comportementale ou encore systémique. Cependant, quelques outils, propres à la cyberdépendance, peuvent servir de soutien à l’intervenant (ex. la grille d’auto-observation développée par Marie-Anne Sergerie et disponible sur le site www.cyberdépendance.ca). Ces outils, comme l’affirment les auteurs, permettent à la fois d’évaluer le temps passé en ligne, les applications privilégiées et les pensées associées dans l’attente de leur usage, pendant celui-ci ou dans sa privation. Ils peuvent notamment aider à rétablir l’équilibre entre les habitudes de vie élémentaires comme le sommeil, l’alimentation, l’hygiène, les activités scolaires, professionnelles ou sportives, les loisirs, les relations familiales et interpersonnelles.

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